Élèves étrangers : À fronts renversés
Les systèmes scolaires français et japonais s'opposent radicalement dans leur manière de traiter les élèves étrangers. Christian Galan, un des meilleurs spécialistes français du système éducatif japonais, explique pour FJE les différences fondamentales entre les deux.
Comment l'école japonaise traite-t-elle les enfants étrangers ?
Partons de la manière dont le Japon traite ses propres enfants éduqués momentanément à l'étranger lorsqu'ils reviennent au pays. Le système scolaire cherche en général à les faire passer par un « sas éducatif » qui leur permet de se réadapter à l'école japonaise, car on estime que ces enfants ont forcément manqué ou perdu « quelque chose » à l'étranger. Le Japon est à ma connaissance le seul pays à faire cela. Ce souci du « retour » est tellement important pour les parents japonais expatriés qu'ils inscrivent souvent leurs enfants dans de coûteuses écoles privées japonaises, afin qu'ils ne soient pas trop pénalisés par rapport aux autres élèves quand ils rentreront.
Vous pouvez dès lors imaginer à quelles difficultés se heurtent les enfants immigrés. Pour le système japonais, ces derniers ont vocation à rentrer dans leur propre pays un jour ou l'autre. Par conséquent il n'est pas besoin de faire des efforts pour les intégrer. Les professeurs ne sont pas du tout préparés à accueillir un public aussi « différent ». Les enfants immigrés sont donc pris en charge hors les murs de l'école, par une ONG, une mairie... Le système scolaire français au contraire présume que l'enfant immigré va rester, et par conséquent les écoles font de leur mieux pour l'intégrer, lui inculquer le français, etc. Ça ne marche pas toujours, mais ils sont pris en charge par ou au sein même de l'institution scolaire. Il sera pris en charge par l'établissement scolaire. Les options de départ sont radicalement différentes. La scolarité obligatoire jusqu'à la fin du collège ne concerne au Japon que les nationaux. En France, l'école est obligatoire jusqu'à seize ans pour tous les enfants, français et étrangers.
À quelles barrières se heurtent les enfants immigrés au Japon ?
D'abord la langue. La spécificité de la langue écrite japonaise induit des contraintes particulières sur le plan de l’apprentissage – notamment son étalement sur un grand nombre d’années –, contraintes qui ont conduit les pédagogues japonais à mettre en place une méthode d’enseignement de la lecture et de l’écriture elle-même extrêmement contraignante et très précisément programmée dans le temps. C'est une langue qu'on ne peut commencer à apprendre qu'à partir de zéro. Les parents apprennent par ailleurs à leurs enfants les kanas avant même l'école élémentaire. Quant aux kanjis, ils font l'objet à partir de la première année de l'école élémentaire d'un long et douloureux apprentissage renforcé par le travail à la maison ou des cours particuliers.
Si un enfant étranger rentre dans le système scolaire japonais à 12 ans, il devra savoir manier en peu de temps 1000 kanjis. C'est un effort colossal - quasi impossible en réalité -, d'autant plus dur à fournir que cet enfant entre dans une classe homogène qu'il « perturbe ». Il n'arrivera sans doute pas à s'intégrer et ne sera d'ailleurs pas forcément bien accueilli.
Autre barrière : la conception japonaise de l'enfant, selon laquelle 1) tous les enfants ont un potentiel intellectuel égal sinon équivalent ; 2) tous les enfants ont la capacité de bien étudier et d’assimiler les programmes ; 3) des habitudes telles que l’application et l’attention qui sont à la base de toute réussite scolaire peuvent et doivent être enseignées. Dans un tel contexte, les différences entre élèves, a fortiori avec les élèves étrangers, ne sont pas prises en compte. Le système scolaire japonais cherche encore à fournir à tous l'enseignement le plus identique possible. Un enfant immigré – et sa famille – qui ne possède pas les codes et la clefs de la culture scolaire japonaise aura un mal fou à s'intégrer.
Les enfants d'immigrés qui ont le plus de chance de réussir leur scolarité sont en fait aujourd'hui ceux qui habitent dans des villes à fortes populations immigrées (Aichi-ken, Kanagawa-ken, etc.) pour lesquelles les collectivités locales ont développé des services éducatifs mieux adaptés. Mon collègue Claude Lévi-Alvares parle à leur sujet de « zones claires », mais il existe aussi beaucoup de « zones grises » ou « sombres », où la masse des enfants concernés n'est pas suffisante pour que l'on s'intéresse véritablement à eux. Rien ne leur est proposé et leur situation sur le plan éducatif est en ce qui les concerne véritablement préoccupante.