Shun-Ichi Miyanaga
Des personnes présentes pour son interview, le directeur général de Mitsubishi Heavy Industries est le plus effacé, et le plus puissant. Shunichi Miyanaga répond à toutes les questions avec franchise, sans notes, en anglais... mais en murmurant, sous le regard d'un joli Utrillo (Le marché de Lavignan). Nous l'avons rencontré quelques semaines après sa tentative avortée de prendre, avec son allié allemand Siemens, le contrôle du géant français de l'énergie et du transport Alstom.
« Il y a cinq ans, MHI expliquait ouvertement faire peu de cas de l'actionnaire. Le changement a été phénoménal. Aujourd'hui, le groupe est devenu la référence du pays » selon Edward Bourlet, de CLSA.
Pourquoi avoir décidé de concourir pour le rachat d'Alstom ?
Lorsque nous avons entendu que GE souhaitait racheter les activités énergie d'Alstom, nous avons estimé que nous devions nous défendre. Cette acquisition a un impact direct sur notre activité. MHI est fort en Asie et sur le continent américain, mais Alstom est puissant en Europe et en Afrique, et le rachat d'Alstom par GE nous menace sur ces marchés. Nous avons donc décidé de faire une offre de rachat avec Siemens. Contrairement à Siemens, nous sommes basés en Asie. Pour établir une bonne relation de partenariat avec Alstom, grande société française réputée, nous avons pensé qu’il valait mieux laisser le contrôle des opérations en Europe à Alstom. C'est pourquoi nous proposions de prendre simplement une participation minoritaire. Mais nous avons peut-être mal expliqué notre position, notre objectif et notre plan d’action. Il faut dire que nous avons eu très peu de temps pour préparer notre offre ! Finalement, nous considérons que nous avons atteint 70% de nos objectifs. Nous avons obligé GE à revoir son offre initiale, et avons réussi à gagner du temps.
Comment expliquez-vous que les membres du conseil d'administration d'Alstom aient constamment soutenu l'offre de GE ?
Ils s'étaient déjà fait leur opinion. Il était naturel qu'ils s'y tiennent. D'autre part, GE a considérablement revu sa proposition durant les négociations, ce qui a dû rassurer Alstom. Nous avons toujours pensé que nous avions une bonne chance de l'emporter si GE demeurait inflexible sur son offre initiale, mais que s'il se montrait accommodant, nous étions défavorisés.
La réputation de MHI tient à sa capacité de fournir des projets complets, de la conception à la construction, dit EPC (pour engineering, planning et construction). L'alliance GE-Alstom vous affaiblit-elle à cet égard ?
Nous demeurons les leaders sur l'EPC. Nous sommes devenus encore plus forts sur ce segment après notre fusion avec Hitachi. En Asie, en Amérique du Nord et même au Brésil et au Chili, nous sommes meilleurs qu'Alstom. Alstom est fort en Afrique dans l'EPC. Le business model de GE est différent de celui de l’EPC ; il est plutôt composé de la fourniture d’équipements et de services. De notre côté, la fusion MHI-Hitachi dans un modèle EPC est très fructueuse.
Une des forces de GE semble justement d'être devenue une société de services. Cette démarche est-elle aussi celle de MHI ?
Nous avons augmenté nos ressources humaines pour le service après-vente, mais nous sommes encore derrière GE à cet égard. Hormis pour les produits qui nécessitent en permanence de l'innovation, la maintenance deviendra de plus en plus importante dans nos métiers. Dans les turbines à eau bouillante, les technologies sont mûres, et on ne peut gagner de l’argent que par la maintenance. Dans les sciences cognitives ou les technologies de l'information par exemple, ces sciences sont encore dans l'enfance et ont un modèle commercial basé sur le produit lui-même, pas sur la maintenance.
Comment voyez-vous MHI dans dix ans ?
Nous suivons deux tendances : mondialisation et concentration. Pendant toute l'après-guerre nous avons accompagné la croissance industrielle du Japon en produisant tout ce qui lui était nécessaire : imprimantes, centrales nucléaires... À l’avenir, nous allons nous réorganiser pour entrer dans la concurrence internationale.
Votre projet d'avion régional, le MRJ, suscite le scepticisme de vos concurrents. Beaucoup y voient un projet gouvernemental difficile à réaliser et peu rentable. Que répondez-vous ?
Le MRJ n’est pas un projet national. C’est notre projet. Il est vrai que la précédente tentative du Japon de construire un avion de ligne authentiquement japonais, le YS-11, a échoué. Nous avons beaucoup étudié ce cas en interne. Nous sommes certains de pouvoir venir à bout des difficultés technologiques de ce projet, et de produire une machine compétitive grâce à notre expérience dans l'aéronautique militaire et dans l'aéronautique civile en tant que fournisseur de Boeing. Nous réussirons si nous parvenons à construire une base commerciale solide. Pour ce type d'avion, la concurrence est surtout canadienne et brésilienne. Mais la réussite n'est pas hors de notre portée.
Bien sûr, nous devrons affronter l’imprévu. Mais nous sommes déterminés.
Quelles sont les conséquences pour MHI de l'assouplissement des règles du Japon pour l'exportation de matériel militaire ?
Le problème au Japon est que nous produisons peu de quantité d'équipement militaire, ce qui maintient le coût par machine à un niveau élevé. En augmentant la production, nous réduirons nos coûts.
Parlez-nous de votre relation avec Areva.
Nous avons développé ensemble le réacteur ATMEA-1. Franchement, MHI a toujours eu d'excellentes relations avec les entreprises françaises, comme Areva et Alstom. Bien sûr, notre relation avec Alstom va peut-être devenir un peu plus distante...