Chronique du yen changeant

Sur le papier, la stratégie semble évidente. En enclenchant les Abenomics et notamment son spectaculaire plan d'assouplissement quantitatif, qui prévoit le doublement sur deux ans de la masse de monnaie en circulation dans le pays, le gouvernement alimente la dépréciation du yen, face aux grandes devises internationales, et favorise la compétitivité de ses exportations sur les marchés internationaux. Soudain, le made in Japan serait devenu bon marché et les entreprises du pays s'apprêteraient à engranger les commandes en Occident, aux États-Unis ou dans l'Asie émergente. Anticipant ce scénario, les gouvernements chinois, sud-coréen ou même vietnamien crient déjà au scandale et dénoncent une « manipulation injuste » des cours de change qui va faire souffrir leurs propres entreprises, devenues trop « chères ». À l'appui de leur outrage, ils pointent la hausse soutenue des bénéfices des groupes nippons, dévoilée ces derniers jours, après la clôture de l'exercice fiscal 2012. Toyota flirte avec les profits de ses meilleures années. Mazda et Sony sont sortis du rouge.


Si, incontestablement, la chute du yen a bien un impact comptable favorable sur toutes les sociétés japonaises ayant des opérations à l'étranger et rapatriant dans leurs résultats des sommes réalisées dans d'autres devises, l'impact de cette baisse sur l'activité réelle des groupes de l'Archipel n'est pas si évident. Les dernières statistiques commerciales montrent d'ailleurs que les marchés internationaux n'ont pas vraiment augmenté leur demande pour le made in Japan malgré la chute du yen enclenchée en novembre dernier. Sur le premier trimestre, les exportations du pays semblent avoir augmenté lorsqu'elles sont exprimées en yens mais, calculées en volumes ou en dollars, elles ont, en fait, reculé.

Les véritables gagnants de la baisse du yen sont ceux qui ont conservé une forte base de production dans le pays et continuent d'exporter massivement depuis ces sites. C'est le cas notamment de Toyota et Mazda dans l'automobile, ou de Murata et Toshiba dans l'électronique. Ainsi, les usines japonaises de Mazda produisent encore 70 % des 1,2 million de véhicules que le constructeur écoule chaque année. 80 % de sa production japonaise est exportée. Sur le dernier exercice fiscal, le recul du yen lui a permis de redevenir rentable pour la première fois en cinq ans. Dans les prochains mois, cette évolution des taux de change va lui permettre soit de baisser les prix de ses voitures sur les marchés étrangers pour gagner des parts de marché, soit de maintenir sa politique de prix mais de doper ses marges. « Nos tarifs sont déterminés par la compétition et le positionnement marketing, pas par les taux de change », tranchait de son côté, il y a quelques jours, un cadre de Toyota.

Dans l'électronique, les groupes devraient opter pour une baisse des prix. Dans son usine de Yokkaichi, Toshiba pousse, par exemple, ses volumes de production de mémoires Flash NAND pour profiter de ce regain de compétitivité sur les marchés étrangers face notamment à Samsung, son grand concurrent sud-coréen.

Dans les entreprises qui ont déjà délocalisé l'essentiel de leurs productions, l'impact industriel du yen est quasi nul. Nissan ne fabrique plus qu'un million de voitures par an au Japon. S'il exporte un peu plus de la moitié de ces unités, il s'est efforcé, ces dernières années d'acheter de plus en plus de composants en Corée du Sud, en Chine et en Thaïlande. Sa Note, produite dans son usine de Kyushu, comprend ainsi 45 % de pièces fabriquées dans d'autres pays. Ces achats sont désormais plus coûteux. Interrogé lors de la présentation des résultats annuels de Nissan, Carlos Ghosn reconnaissait, d'ailleurs, que la baisse du yen « ne changerait rien à la compétitivité des voitures du groupe ».


Pour plusieurs industriels, cette baisse est même une mauvaise nouvelle. Les grands électriciens, déficitaires pour la plupart depuis l'arrêt de leurs réacteurs nucléaires, ont prévenu qu'ils allaient devoir augmenter les prix de l'électricité pour compenser le bond du coût de leurs importations de pétrole, de charbon et de gaz naturel. Les sidérurgistes doivent, eux, encaisser ce bond des prix de l'électricité, mais aussi la hausse du coût de leurs importations de minerai de fer et de charbon. Dans les secteurs de la pétrochimie, du papier ou du ciment, tous très gourmands en matières premières importées, les états-majors ont commencé à rencontrer leurs grands clients pour les convaincre d'encaisser une partie du renchérissement annoncé de leurs produits. Et ils espèrent déjà que la chute du yen, célébrée par le gouvernement, prendra bientôt fin. 

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